Retraites. La triple peine pour les collectivités
Les employeurs territoriaux vont devoir payer au moins deux ans de plus les agents, acquitter une hausse de cotisations et financer l'usure professionnelle.
Dans les collectivités, les agents sont concernés par cette réforme qui s’applique au secteur privé comme au secteur public. Le premier impact pour les employeurs territoriaux sera d’avoir des agents devant travailler davantage, c’est-à-dire des agents en fin de carrière dont la rémunération est plus importante qu’en début ou milieu de carrière et qu’ils devront payer au moins deux ans de plus. La réforme permettra également aux agents de la fonction publique, avec l’accord de leur employeur, de travailler jusqu’à 70 ans s’ils le souhaitent, ou de prendre une retraite progressive (cumul d’une retraite avec un temps partiel possible deux ans avant l’âge légal).
Non à la hausse des cotisations à la CNRACL
À conditions constantes, chaque commune et intercommunalité peuvent déjà avoir une idée de ce que pourrait lui coûter cette réforme au regard de sa masse salariale actuelle. Exemple de calcul théorique avec le cas d’un agent fonctionnaire travaillant plus de 28 heures hebdomadaires et touchant le traitement indiciaire brut de 1943 euros par mois (traitement brut moyen d’un fonctionnaire territorial en 2020 selon l’Insee) : l’employeur contribue au régime de la caisse de retraite des fonctionnaires (la CNRACL) au taux de 30,65 % et paie 595 euros par mois de cotisation retraite pour cet agent, soit 14 293 euros pour 24 mois.
Or, mi-janvier, les collectivités ont eu la mauvaise surprise d’apprendre que ce taux de cotisation augmenterait vraisemblablement de 1 %. Si l’on reprend notre calcul, avec un taux de cotisation retraite CNRACL passant à 31,65 %, la contribution employeur sur deux ans passerait à 14 759 euros, soit un surcoût de 466 euros. Pour un seul agent fonctionnaire…
Les communes et EPCI font travailler 1,2 million de fonctionnaires (certes, pas tous à plus de 28 heures) et 300 000 contractuels… Pour le seul bloc local, avec la variation d’un seul paramètre pour les seuls fonctionnaires, le surcoût tournerait autour de 279,5 millions d'euros par an. Or, le taux de cotisation ne constitue qu’un seul facteur parmi d’autres pour calculer l’impact financier exact de la réforme de retraites pour les collectivités.
De son côté, le gouvernement évalue les recettes pour la CNRACL liées à la hausse de la cotisation employeur à 600 millions d'euros par an jusqu’en 2028, puis à 700 millions d'euros pour les employeurs territoriaux et hospitaliers.
À la veille de l’examen du texte par le Parlement, rien n’était stabilisé : ni le taux de cotisation, ni l’éventuelle compensation par l’État du surcoût pour les employeurs territoriaux (la Première ministre a simplement promis, dans un courrier envoyé aux associations d’élus, fin janvier, que cette hausse serait bien compensée).
Seule certitude, «cela ne répond pas du tout à ce que la Coordination des employeurs territoriaux [qui représente l’ensemble des employeurs du versant territorial de la fonction publique, dont l’Association des maires de France, NDLR] a proposé au gouvernement, regrette Murielle Fabre, secrétaire générale de l’AMF. La CNRACL connaît certes un déficit mais qu’il est peut-être possible de réduire en ayant une réflexion d’ensemble sur la retraite des agents des collectivités. Aujourd’hui, la CNRACL verse une compensation pour équilibrer d’autres régimes de retraite [elle a versé 77,3 milliards d'euros depuis sa création en 1974 ; lire aussi Maire info du 14/03/2022, NDLR]. Nous demandons l’arrêt de cette compensation. Nous souhaitons aussi travailler sur la question des contractuels, de plus en plus nombreux dans les collectivités, sans pour autant mettre en porte-à-faux le régime de l’Ircantec, auquel ils cotisent. Une autre question également à traiter est celle des cotisants qui ne règlent pas actuellement ce qu’ils doivent à la CNRACL et qui pourraient participer au renflouement de cette caisse. »
Coûts indirects de l’absentéisme
En plus de ce volet cotisation, il faudra prendre en compte d’autres paramètres susceptibles d’alourdir la charge financière comme l’assiette de cotisation, c’est-à-dire la rémunération brute à partir de laquelle va être défalquée la cotisation retraite : le seul traitement indiciaire brut ou un traitement augmenté ?
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les employeurs n’avaient pas de réponse à ces questions. Cette réforme des retraites vient en effet percuter un chantier parallèle sur les rémunérations et l’attractivité dans la fonction publique (lire ci-dessous) qui pourrait modifier le périmètre de cette assiette.
Outre l’impact financier qu’aura la réforme annoncée sur les budgets locaux, un autre impact, moins visible, mais également très coûteux touchera les collectivités. La fonction publique territoriale (FPT) se compose essentiellement d’agents de catégorie C (75 % du 1,5 million d’agents travaillant dans le bloc local). L’usure professionnelle y constitue depuis déjà un certain nombre d’années une problématique importante en raison des métiers qui y sont exercés.
Autre facteur : la moyenne d’âge des agents dans la FPT est de 46 ans (42 ans dans le secteur privé) et les statistiques, issues de plusieurs sources dont le rapport annuel sur la fonction publique, montrent très clairement une hausse des arrêts de travail et des cas d’invalidité après 50 ans.
La Coordination des employeurs territoriaux a souligné cette particularité la veille de la présentation de la réforme par le gouvernement, le 10 janvier : «Toute réforme emportant des mesures d’âge et qui serait de surcroît strictement paramétrique représente un défi quant à l’usure professionnelle des agents dans la mesure où elle conduit mécaniquement à maintenir plus longtemps en position d’activité des agents exposés à la pénibilité voire des agents déjà en situation d’invalidité. La conséquence sera une hausse de l’absentéisme dont il faudra prendre en compte le coût et l’impact sur la qualité du service. »
Mathilde Icard, directrice du centre de gestion du Nord et présidente de l’Association des directeurs des ressources humaines des grandes collectivités, confirme : «Les enjeux sont les conditions à réunir pour que le travail soit un facteur de santé dans un contexte d’allongement de la durée du travail : comment prévenir l’usure, financer les adaptations, repenser l’organisation du travail, nos missions de service public en gérant les âges de la vie au sein de nos collectivités ? »
Fonds de prévention pour les personnels médico-sociaux
La reconversion des agents (donc leur formation) et leur mobilité constituent autant de questions à traiter à l’aune de cette réforme. Le ministre de la Transformation et de la fonction publiques, Stanislas Guerini, en convenait, le 21 janvier, sur la radio France Info : «l’enjeu derrière la réforme » porte bien sur l’aménagement des fins de carrière. En promettant 6 milliards d'euros pour «corriger les injustices ».
Mais lors de la présentation de la réforme, le gouvernement n’a rien annoncé de particulier pour aider les collectivités à répondre à cet enjeu, hormis un seul fonds de prévention pour le secteur social et médico-social… Une troisième peine pour les collectivités. Les employeurs territoriaux demandent donc à ce que ce fonds soit étendu à tous les agents territoriaux.
De son côté, le ministère souhaite vite enclencher les échanges et a proposé un agenda social, qui, espère-t-il, débuterait dès «la mi-février », articulé autour de quatre grands thèmes : le dialogue social pour tirer le bilan des élections professionnelles de décembre 2022 et «réinterroger » la manière dont s’exercent les droits syndicaux ; la protection sociale complémentaire ; les relations employeurs/agents; l’accès à la fonction publique (réforme des concours), les parcours, la rémunération.
Il est notamment envisagé de revoir le système des primes, dont une partie pourrait être réintégrée dans la rémunération indiciaire des agents, ce qui aurait pour effet de faire également gonfler les coûts pour les employeurs.
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